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Construire un pont pour deux fromages

dimanche 13 mars 2011, par Bruno

Aimé Serres (1813 – 1893) a vécu à Claix dans sa maison située juste en dessous de celle que possédait le père de Stendhal. De son vivant Receveur des Finances, il est enterré au vieux cimetière de Claix.

J’ai déjà mis en ligne sur ce blog le poème qu’il avait écrit sur le hameau de Furonnières publié dans un petit livret sur lequel plane encore un mystère.

Aujourd’hui, je vous propose un pamphlet politique (non publié à ma connaissance) de cet auteur, retrouvé dans un vieux carton dans sa maison de Furonnières. Ce pamphlet traite de la construction d’un Pont sur le Drac, en aval de l’ancien pont suspendu dont le péage contrariait beaucoup les utilisateurs. A la suite de ce pamphlet vous pourrez lire l’histoire officielle de la construction de ce nouveau Pont.

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Les deux fromages

Gruyère et Sassenage

Pont neuf

Aimez-vous le Gruyère ? On en a mis partout.

Il n’est pas de potage, il n’est pas de ragoût

Qui n’en soient empestés. Dans notre pauvre Isère.

Tout s’y brasse, se noue tout mitonne au Gruyère.

Toléré tout au plus dans le macaroni

Jadis d’un diner fin ce mets était banni.

Il s’étale aujourd’hui sur la plus fine table,

Sur celle des puissants il est inévitable.

Artistes et savants, magistrats et Préfet,

S’en gavent à cœur joie comme des (toutefaix ?)

Il n’est pas d’autre part si petite officine

Dont ils n’ont en renard, envahi la cuisine.

Si pour la vile plèbe il est encore puant,

Près des grands il est souple, onctueux et gluant.

Devant eux il s’abaisse, il s’agenouille, il rampe.

Font-ils une sottise ! On est sûr qu’il y trempe.

En quatre mots enfin voulez-vous son portrait ?

Je vais vous le croquer, ressemblant, trait pour trait.

Il a du vieux ténor conservé la tournure

Et du beau, décati, l’imposante figure.

Le chapeau sur l’oreille, élégant plein de chic,

Il porte, crânement moustache à la Yan-Dick.

Il n’est pas étonnant, avec ces dons physiques

Qu’il se soit faufilé dans toutes les boutiques.

Il embauma d’abord la belle Sassenage

Il la pétrit en lui, n’en fit qu’un seul fromage.

Sassenage et Gruyère aujourd’hui confondus,

Sont appelés partout les fromages fondus.

Dinant ensemble, un jour, la belle Sassenage

Dit à son beau Gruyère, entre poire et fromage,

Cher Maître de mon cœur c’est par trop embêtant

D’avoir toujours en main, cuivre ou argent comptant

Quand nous voulons du Drac gagner la rive droite ;

Puis du Pont suspendu la route est trop étroite.

Nous sommes du pays le plus fameux produit,

On nous doit, à tout prix, le passage gratuit.

Est-il juste, Chéri, pour un double fromage,

De n’avoir qu’un seul Pont et un Pont à péage ?

Non, non ! Partons en guerre et quand on est admis

A la table des grands, quand on a des amis,

Rien ne doit arrêter et rien ne décourage.

Voilà ce qu’à Gruyère inculquait Sassenage.

Gruyère soucieux dit : avons-nous le droit

D’établir un Pont Neuf et juste au bon endroit

Pour tripler la valeur de ces méchantes terres

Qui ne rapportent rien à leurs propriétaires ?

*

Puis, se tapant le front, tout à coup il songea

A son meilleur ami le célèbre Ronjat,

Le premier procureur de France et de Navarre !

Oh ! Dit-il, de conseils il n’est jamais avare :

(Puisqu’il est président du)

Je vais l’entortiller ; le Conseil Général

Doit s’assembler demain ; ce grave tribunal

S’inclinera devant son Président suprême :

Ronjat sera pour moi ; nous tenons le problème.

Au Conseil consulté, Corbleu ! Ronjat répond :

C’est moi qui suis le droit ! Commencez votre Pont !

C’est moi, dit-il, moi seul qui pour toute la France

Interprète les lois, crée la jurisprudence !

Ce discours magistral, ce langage hautain

Entrainent le Conseil. En un seul tour de main

Le pont fixe est voté, construit et l’on y passe.

Convenez qu’il fallut une fameuse audace

Pour brasser cette affaire et la mener grand train

Avant que du procès on ne connut le gain.

Or, le pont suspendu gagna sa juste cause

Gruyère s’en bat l’œil sur son Pont neuf… il pose

Tout comme le bon Roi Henri

Sur le Pont Neuf du grand Paris

Mais celui-ci portait le beau nom d’Henri Quatre

Et Gruyère est un sot et vaniteux bellâtre.

Il avait oublié, le trop fameux Ronjat,

Que c’était, non à lui, mais au Conseil d’état,

A juger le conflit, à rendre la sentence.

Ô Conseil général ! ta plate confiance

En Gruyère en Ronjat va couter des millions.

Quant à nos deux copains, à nos deux historions

C’est vraiment fabuleux, c’est à ne pas y croire,

De la légion d’honneur Gruyère est Chevallier,

Ronjat sera du coup bombardé Chancelier.


Électeurs Dauphinois ! Mais une fois pour toutes,

Laissez-les donc moisir et pourrir dans leurs croutes

Ces fromages infects et les deux aigrefins

Qui, n’ayant qu’un seul but : arriver à leurs fins

Ont du département provoqué la déroute

Cette leçon vaut bien deux fromages sans doute !


*

J’en doute et suis certain que le pont suspendu

Va nous faire un procès que je prévois perdu

Pressons nous donc alors et par nos manigances

Atteignons notre but en prenant nos avances.

Aimé Serres

Je ne sais pas qui sont Gruyère et Sassenage, probablement des hommes politique de l’époque, ce qui est sûr c’est que cette histoire a un fond de vérité que vous pourrez découvrir en cliquant sur ce lien : Le pont de Sassenage à Grenoble .

Ancien pont supendu de Sassenage

Portfolio

Messages

  • Je connais ce texte que je n’ai jamais osé publier. Il n’apporte en fait aucune plus value pour l’histoire de Claix

    J.C. MICHEL

    • Je suis d’accord avec toi Jean-Claude, c’est pour cela que j’ai publié ce texte dans la rubrique "Talents Claixois" et non "Histoire de Claix".

      Bruno

  • Voilà un texte très finement écrit que je découvre.

    Merci Bruno de nous faire partager tes recherches sur le passé des Claixois et pour l’heure un complément appréciable concernant les talents littéraires d’Aimé Serres qui finit ses jours à Claix. Très intéressant également le lien à caractère historique sur ce pont, ce qui permet d’élargi nos connaissances sur notre environnement proche.

    Bob Keller